Malgré la baisse des taux, le durcissement des conditions d’octroi est à l’œuvre, obligeant les clients à revoir ou à abandonner leur projet. Découvrez les nouvelles pratiques du secteur.
Un effondrement de 30% de la production de crédit immobilier, en seulement un an : voilà le sombre pronostic, formulé par le courtier Cafpi pour la fin 2020 et le début 2021. Un plongeon dû pour l’essentiel aux préconisations édictées, avant même la crise sanitaire, par le Haut Conseil de stabilité financière (HCSF), qui enjoignent aux banques de ne plus prêter au-delà de vingt-cinq ans, et sans s’écarter du taux d’endettement maximal communément admis, de 33% des revenus de l’emprunteur. «Le HCSF leur a aussi demandé de ne plus casser les prix, et de veiller à faire des marges sur les prêts», complète Philippe Taboret, directeur général adjoint de Cafpi.
Pour ne rien arranger, ces mêmes établissements, à qui la crise économique fait craindre une hausse des défauts de remboursement, refusent désormais de prêter aux profils les plus fragiles. Pour preuve, selon le courtier La Centrale de financement, le revenu moyen affiché par les emprunteurs s’est déjà redressé de 7% au deuxième trimestre 2020, à 57200 euros, contre 53400 euros un an auparavant. Les primo-accédants sont bien sûr les premières victimes de ce cumul d’obstacles. Mais pas seulement. Tour d’horizon des nouvelles exigences des banques, et des profils qu’elles sanctionnent.
Elles retoquent même de très bons dossiers
Certes, après une légère hausse durant le confinement, les taux d’intérêt sont repartis à la baisse, et s’échelonnent de 1,30 à 1,40 % sur vingt ans. «Les meilleurs dossiers pourront gagner jusqu’à 0,40 point supplémentaire, et se faire financer à 0,90%», assure même Eric Debèse, de Made in Courtage. Mais ces conditions préférentielles ne sont plus réservées qu’à une poignée d’excellents profils : en CDI, avec plus de 100000 euros de revenus annuels, et sans autre crédit en cours. Pour les autres, cela se corse, le taux global de refus avoisinant les 15%. «Certains emprunteurs gagnant très bien leur vie, jusqu’ici parfaitement finançables, mais ne respectant pas les critères du HCSF, se voient fermer la porte», assure Philippe Taboret.
Bon à savoir : les banques peuvent déroger, à hauteur de 15% de leur production, aux préconisations de cette instance. Mais, selon notre enquête, elles n’usent de cette liberté qu’avec parcimonie, pour leurs propres clients visant une résidence principale. «Dans ces conditions, mieux vaut éviter d’acheter sans condition suspensive, alerte Maël Bernier, porte-parole de Meilleurtaux.com. La sélection est dure, même pour les bons salaires.»
Certaines professions sont désormais pénalisées
Les salariés relevant d’un secteur sinistré (tourisme, événementiel, restauration, aéronautique et, dans une moindre mesure, automobile) ont sans doute intérêt à accélérer leur projet. Car les banques n’hésitent plus à se renseigner sur la solidité financière de leurs employeurs. Quant aux commerciaux, au variable menacé par la crise, ils doivent s’attendre à ce que leur conseiller n’en tienne plus compte dans le calcul de la capacité d’emprunt.
Ce n’est pas mieux, bien sûr, du côté des travailleurs indépendants. Même ceux exerçant en dehors des secteurs précédemment cités devront, en plus d’afficher trois derniers bilans sains, prouver leur capacité à maintenir l’activité, via par exemple des engagements de commandes. Pour tous ces profils, il n’y aura sans doute pas d’autre solution pour rassurer leur banquier que de débourser plus d’apport ou… de compter sur un conjoint à la situation plus stable.
A noter : si vous avez été, pour un temps limité, en chômage partiel, cela ne devrait pas pénaliser votre capacité d’emprunt. Pour ces dossiers, les banques continuent de se référer au salaire ordinaire, et non à celui versé durant la période, potentiellement de 84% du salaire net.
Elles exigent toujours plus d’apport personnel
Alors qu’une baisse des prix de l’immobilier n’est pas exclue, la plupart des banques, pour éviter de récupérer une maison à la valeur inférieure au capital restant dû, refusent désormais des financements à 110%. Comme le montre notre tableau, seuls La Banque postale, pour les moins de 36 ans, et le Crédit mutuel de Bretagne y consentent encore.
Ailleurs, il faudra financer de sa poche au minimum les frais de notaire et de garantie de l’emprunt, ainsi que le coût éventuel des travaux. «Certains établissements exigent même d’injecter 10% de la valeur du logement, soit un total de 20% du prix du bien hors travaux», avertit Estelle Laurent, porte-parole du courtier Credixia. HSBC et Crédit du Nord, notamment, se font particulièrement prudents. Si votre banquier agit de même, tentez de le convaincre de la qualité du logement, quitte à joindre des photos à votre dossier.
Elles ne courent plus après les investisseurs
Avec les primo-accédants, la clientèle d’investisseurs se retrouve particulièrement pénalisée par le plafond des 33% d’endettement. «D’autant que, par prudence, les établissements ont aussi modifié les modalités de calcul de ce taux», avertit Sandrine Allonier, chargée des partenariats bancaires chez Vousfinancer. Jusqu’ici, les banques considéraient en effet que les loyers à percevoir (toutefois pondérés à hauteur de 70% de leur montant) venaient en déduction directe des charges d’emprunt. Alors que désormais elles se contentent de les ajouter aux revenus de l’emprunteur.
L’effet est redoutable : pour un investisseur gagnant 2000 euros net par mois, et espérant empocher 800 euros de loyer pour l’aider à rembourser une mensualité de 1000 euros, la banque retiendra désormais un revenu de 2560 euros (2000 euros + 70% de 800 euros), soit un taux d’endettement de 39%, au-delà des critères HCSF. Alors qu’auparavant elle aurait considéré que, avec des charges limitées à 440 euros (1000 euros – 70% de 800 euros), son taux d’endettement n’aurait été que de 22%.
Seule solution pour les investisseurs piégés : s’orienter vers les banques qui, pour alléger la contrainte, tiennent compte de 100% des loyers. De quoi faire retomber, dans notre premier calcul, le taux d’endettement à 35,7%. Comme le montre notre tableau, BNP Paribas fait partie des plus accommodantes. Tout l’inverse de La Banque postale, qui ne valorise les loyers qu’à hauteur de 50%.
Elles limitent fortement la durée d’emprunt
Pas d’emprunt au-delà de 25 ans : la règle édictée par le HCSF a des effets inattendus, comme chez les acheteurs d’immobilier neuf. «Il était fréquent dans leur cas de solliciter un prêt sur 25 ans, auquel s’ajoutait un différé de remboursement de deux ans», explique Sandrine Allonier. Soit un montage sur 27 ans au total, qui n’est plus envisageable. «Il leur faut désormais réduire la durée de remboursement à 23 ans, différé de deux ans déduit», résume Sandrine Allonier.
A ce jeu, les investisseurs qui chercheraient à rallonger leur crédit pour revenir à 33% d’endettement sont tout autant pénalisés. Car ils bénéficiaient souvent eux aussi d’un différé de remboursement sur leur emprunt, cette fois de trois ans. Pire : seule une poignée de banques acceptent de leur prêter au-delà de 20 ans sans surcoût, comme la Bred, la Caisse d’épargne Ile-de-France et la Société générale. Les autres ajoutent souvent, pour couvrir leur risque, 0,1 point de plus au taux d’ordinaire facturé.
Elles bloquent toujours la délégation d’assurance
Avec seulement 15% du total des cotisations versées en 2019, on ne peut pas dire que les contrats en délégation d’assurance, c’est-à-dire couverts par une compagnie concurrente de celle de la banque prêteuse, explosent. La faute aux établissements qui, malgré les lois de libéralisation successives, font encore et toujours de la résistance. «C’est le sujet le plus délicat du moment dans nos rapports avec les banques», confirme Christelle Molin-Mabille, présidente de la Chambre nationale des conseils experts financiers Crédit (CNCEF Crédit).
Et si certaines d’entre elles, comme la Société générale, LCL, BNP Paribas ou HSBC, finissent souvent par céder, les réseaux mutualistes, eux, lâchent plus difficilement l’affaire. Au point que le législateur s’apprête à les obliger à informer annuellement leurs clients de leur droit à allerà laconcurrence. En attendant, si votre banquier a fait pression pour souscrire son contrat, sachez que vous disposez d’un an à compter de la signature du prêt pour en changer, quand bon vous semble. «Alors qu’ils finissent à peine de déménager, trop d’emprunteurs renoncent à faire jouer cette disposition de la loi Hamon», déplore Astrid Cousin, porte-parole du courtier Magnolia.fr.
Il reste possible de faire racheter son prêt
Voilà bien la seule opération pour laquelle les banques ne se font pas trop tirer l’oreille : la renégociation des crédits de leurs clients, qui leur permet de préserver des parts de marché. Ou d’en conquérir de nouvelles, en piquant à la concurrence ceux de leurs clients respectant les critères HCSF. «De plus en plus d’emprunteurs, soucieux de gagner en pouvoir d’achat, sont prêts à se lancer», assure Philippe Taboret. Pour preuve, le rachat de crédit représentait 32% de la production de prêts à l’habitat en mai, et même 47% en avril, lors du confinement.
Le mieux, pour vous y aider, est de passer par un courtier, qui fera à votre place le tour des établissements. Alors que les banques avaient menacé, en début d’année, de se passer de ces spécialistes, ils ont su préserver leurs partenariats. Quitte, pour certains, à réduire leurs commissions. Car il n’y a pas qu’avec les emprunteurs que les banques se montrent intraitables !
Le piège du taux d’usure se referme sur les emprunteurs
Un maximum de 2,57%, frais et assurance inclus : voilà, pour le trimestre en cours, le taux d’usure sur vingt ans, au-delà duquel la banque a interdiction de prêter. Les conditions de financement ont beau être au plus bas, ce taux «tout compris» est vite atteint chez certains emprunteurs, comme les primo-accédants dépourvus d’apport. Mais aussi les personnes porteuses de diabète ou d’autres maladies chroniques, ou la majorité des plus de 45 ans, à l’assurance trop coûteuse.
Mieux vaudra que la banque fasse un effort supplémentaire sur son taux, ou ses frais de dossier. Les raboter de 50% est fréquent. «Les frais de garantie, qui pèsent en moyenne 1000 euros, peuvent être aussi abaissés», conseille Ludovic Huzieux, cofondateur d’Artémis courtage. Les fonctionnaires, par exemple, pourront recourir à une filiale dédiée chez certaines banques, comme la Bred. Les autres solutions ne sont, elles, pas dépourvues de danger. Comme celle consistant à abaisser son coût d’assurance, en ne se couvrant qu’à hauteur de 50% par tête ou en se passant des garanties invalidité temporaire.
Source : Article paru sur le site Capital.fr le 20/10/2020